Dans le vaste paysage culturel du Québec, le temps des sucres occupe une place à part entière, à la croisée des traditions, de la gastronomie et de l’identité collective. Chaque année, dès les premiers signes du printemps, les cabanes à sucre reprennent vie et les gens s’y empressent pour profiter d’un bon repas traditionnel. Fun fact : La consommation annuelle de sirop d’érable au Québec était estimée à 3,2 livres par personne en 2020.
La tradition du temps des sucres au Québec a des racines anciennes qui remontent bien avant la colonisation du territoire. Les peuples autochtones pratiquaient déjà la récolte de la sève d’érable. Les premières références écrites de cette pratique datent de l’époque de la Nouvelle-France, où les colons français ont été initiés aux techniques de récolte et de transformation du sirop d’érable par les Autochtones. Dans une lettre datée de 1558, l’explorateur français André Thevet décrit qu’il a observé un Autochtone entailler un érable et en récolter un liquide sucré « d’autant bon goût et délicat que le bon vin d’Orléans ou de Beaune. Vers 1636, le missionnaire français Gabriel Sagard se retrouve chez les Hurons, près des Grands Lacs en Ontario. Il relate que les peuples autochtones de la région font bouillir l’eau d’érable à deux ou trois reprises pour l’épaissir et en faire « une espèce de sirop, qui est agréable ».
Avec les siècles, la récolte de l’eau d’érable se perfectionne et s’industrialise. Vers la fin du 19e siècle, au fur et à mesure que les cabanes à sucre temporaires cédaient la place à des structures plus permanentes, des changements significatifs ont eu lieu. Les nouvelles constructions, principalement en bois, avec leurs toits en tôle à double pente étaient conçus pour faciliter l’évacuation de la neige. Pour permettre la sortie de la vapeur, une lucarne était souvent intégrée. Au début, les convives apportaient leurs propres provisions, que le cuisinier transformait ensuite en repas, les nappant généreusement de sirop d’érable. Autre fun fact : En plus de son goût exquis, le sirop d’érable est un aliment qui regorge de propriétés alimentaires. Il est riche en polyphénols, qui permettent notamment de freiner le vieillissement cellulaire!
Les repas traditionnels servis dans les cabanes à sucre sont une véritable ode à la gastronomie québécoise. Au menu : la soupe aux pois, les omelettes, le jambon fûmé et les saucisses à l’érable, les cretons, le pouding chômeur, la tire sur la neige sans oublier les bines au sirop d’érable. La recette des fèves au lard trouve ses origines dans diverses traditions et interprétations. Avant l’arrivée des colons, différentes variétés de haricots étaient déjà cultivées sur le continent et cuisinées de différentes manières par les communautés autochtones, du nord au sud. Par exemple, les Abénaquis les faisaient mijoter doucement dans de la sève d’érable au printemps. En France médiévale, les haricots étaient cuisinés de manière similaire à la soupe aux pois, agrémentés d’un morceau de lard salé ou d’un morceau de graisse de baleine.
Et finalement les fameuses oreilles de crisse. Ça il faut que je vous dise, c’est la seule chose qui ne me revient pas. Je sais pas, le goût, le nom, l’aspect trop salé. Mais savez-vous ce que c’est au fond des oreilles de crisse? Ce sont des tranches de lard frites rappellent le chicharrón, bien connu des cuisines espagnoles et de l’Amérique latine. Le fameux trio de gras-sel-sucre, procuré par l’ajout de sirop d’érable, en fait un plat indétrônable des menus de cabanes à sucre. En ce qui a trait son nom, le terme « oreilles » viendrait de la forme que prennent les morceaux de lard une fois frits. Quant au juron accolé à son nom, l’Office québécois de la langue française précise que « l’ajout d’un élément religieux, avant ou après le nom de l’objet, sert comme dans tout juron à intensifier l’expression ».
Outre son aspect gastronomique et festif, le temps des sucres revêt également une importance capitale dans notre identité décorative et paysagère. Les cabanes à sucre, avec leur architecture rustique et leur charme d’antan, sont de véritables emblèmes du patrimoine bâti québécois. Leurs toits en tôle ondulée, leurs murs en planches de bois et leurs grandes fenêtres laissent entrevoir leur âme festive, remplie de nostalgie et de charme. Leur décor est à la fois simple et chaleureux, imprégné de l’histoire et de la tradition québécoise.
Voici quelques éléments clés qui font des cabanes des vraies cabanes à sucre québécoises
Bois: Les cabanes à sucre sont souvent construites en bois, des poutres aux planchers, ce qui leur donne une ambiance rustique et authentique.
Tables familiales : Au cœur de chaque cabane à sucre, on trouve de longues tables communautaires autour desquelles on se réunit, que ce soit avec notre gang ou des parfaits inconnus. On se partage les plats, on jase fort pour enterrer la musique folklorique de fond. Sur les tables c’est la fameuse nappe à carreaux rouges et blancs. Mais connaissez-vous l’origine de cette fameuse étoffe, symbole des cabanes à sucre québécoises? En fait ce n’est rien de moins que la nappe Vichy, sortie de la cuisine pour devenir un emblème de la France dans le monde. La nappe Vichy est étroitement associée à la ville de Vichy, célèbre lieu de villégiature de Napoléon III. L’empereur contribua à populariser ce tissu après sa visite des usines de la région Auvergne-Rhône-Alpes au XIXe siècle. Initialement utilisée pour la fabrication de ganses, lacets et tabliers dès le XIVe siècle, la nappe Vichy devint incontournable dans les bonnes maisons parisiennes après que l’Impératrice Eugénie en a rapporté à la cour. Brigitte Bardot renforça sa notoriété en portant une robe rose à motifs Vichy sur la couverture du magazine Elle, et même lors de son mariage en 1959. Aujourd’hui, les petits carreaux rouges et blancs évoquent l’esprit bistrot et guinguette typiquement français, et sont souvent associés aux pique-niques, ajoutant une touche d’authenticité et de convivialité à ces repas en plein air, ou à la cabane à sucre!
Décorations traditionnelles : Les murs des cabanes à sucre sont souvent ornés de décorations traditionnelles, telles que des raquettes en bois, des outils agricoles anciens et des images qui témoignent de la vie rurale.
Le temps des sucres au Québec est bien plus qu’une simple tradition gastronomique. C’est un véritable héritage culturel, ancré dans nos traditions, nos paysages et notre identité collective. Le Québec est le plus grand producteur de sirop d’érable au monde, assurant 71% de la production mondiale. Aujourd’hui, alors que le monde évolue à un rythme effréné, je vois comme essentielle la préservation et la valorisation des traditions ancestrales qui font la richesse de notre patrimoine culturel. Le temps des sucres est l’occasion parfaite de célébrer nos racines, de renouer avec la nature et de partager des moments inoubliables en famille ou entre amis.
Ne manquez pas l’épisode #50 de Déco Thérapie dans lequel je m’entretiens avec Claudie Brassard, chasseuse de sirop et fondatrice de Nos Cabanes.
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